Marcher dans la lumière

Marcher avec le Carmel de Marie Vierge Missionnaire me fait penser au Chemin de Saint Jacques de Compostelle… dans la partie française entre Le Puy et Conques…. le plus beau d’après ce qu’on dit, d’après ce qu’on y vit. On peut évoquer des dénivelés inattendus, des descentes qui ne sont que des montées, des montées ardues et douloureuses qui nous conduisent à des contemplations où les paysages étendus nous rendent petits et grands. Nos cœurs appuyés sur celui de Marie, en sa pulsation apaisante et douce nous conduisent en ermitage dans une solitude recherchée. L’ascension nous travaille, la descente nous ouvre au monde. Encordés l’un à l’autre dans la communion Sarepta, unis dans la famille des Pradiers avec la communauté toute entière.

C’était le jour « Désert » au milieu de la retraite de Fondation du mois de juillet. Le silence d’abord….chacun vaque au verger, sur la route à goût de lavande, dans sa chambre, à la chapelle, dans la montagne…ailleurs…pour ma part, je prends mon sac à dos avec le pique-nique et de l’eau, je trouve un bâton, je glisse le chapelet au poignet droit, je prends le chemin bien caché qui conduit au sommet de la montagne de la Lance, je monte, je cherche, à travers les genévriers, les pins nains, j’entends le bruit de mes pas lourds sur les cailloux gris, il fait déjà chaud, je sue…. j’entame le chapelet, j’égrène les mystères douloureux…ma vie d’aujourd’hui, je l’offre… mon affectivité douce et douloureuse, je l’offre aussi, ma famille, mes amis, l’Eglise, le Carmel, les témoignages du grand partage de la veille, je les dépose…. ça monte, ça monte encore… le sommet se profile, j’y suis presque, je mange et je bois au milieu des papillons et des bourdons dans leur duvet multicolore. Je m’allonge, je m’endors. C’est la paix… une grande paix… les visages majeurs du Carmel de Marie Vierge Missionnaire passent dans mon esprit… les frères et sœurs de la communauté ont déposé dans les cœurs attentifs les couleurs des visages évoqués.

Elie me semble très loin, très caché, très haut, trop haut peut-être pour moi…pourtant je me revois dans le manteau de prière, ce manteau devient le manteau lui-même, cet abri, ce rocher, cette longue barbe au vent. Marcel Van est un peu l’enfant que j’étais, l’enfant que je deviens quand l’abandon m’habite, la liberté et la confiance qui résonnent en moi. Thérèse de Lisieux, les reliques qu’on touche lors de la veillée de prière, ma petitesse en elle, mon grand désir d’aimer sans compter. Elisabeth le la Trinité, celle qui brise le miroir où je ne verrais que Narcisse dans son intégrité, elle est la musique de la Trinité sans limites, l’élargissement de mon cœur, la Présence qui est ma chair elle-même. Et Jean-Paul II… le pape de ma vie d’adulte… Il est là… des questions me taraudent sur la montagne… Quel époux, quel père suis-je ? Le mariage… le corps… la vie… l’amour…. la souffrance…
Marie rassemble sur son cœur ces visages, nos enfants rejoignent l’un après l’autre les icônes exposées dans la chapelle, je vois Coralie, ma petite fille, agenouillée devant la Vierge de Fatima. Je vois aussi son frère Guillaume dansant dans la louange et la musique. Je pense aujourd’hui à ces enfants heureux… peignant l’icône de Marie Madeleine, sous des traits singuliers et beaux.

 

La grande retraite se décline autour de la Saint Elie. Certains matins, les enfants et les jeunes s’ouvrent au réveil du cœur, préparent le chapelet géant, bricolent, s’amusent dans la lumière de Claire de Castelbajac. Le grand jeu qui rassemble toute la communauté nous permet de découvrir cette jeune femme ardente et lumineuse…

« Papa, vous devinez ce que je veux être plus tard ?
– Tu veux être religieuse ?
– Non ! C’est plus fort que ça !
– Plus fort ? Alors, je ne devine pas.
– Je veux être sainte, voilà ! C’est plus fort que d’être religieuse, hein ?
Nous sommes tous appelés à la sainteté…

La randonnée est l’occasion de parler, d’échanger, de s’émerveiller de la nature foisonnante. Au milieu de la semaine, il y a aussi le barbecue « culte » disposé dans le jardin de Marie. La fumée des saucisses et des merguez enveloppe nos danses débridées, le houblon s’écoule dans les gorges heureuses, les yeux brillent jusqu’au coucher ! Les desserts chocolatés fabriqués par les enfants avec Consolata sucrent les « anniversaires Policand » !
Chaque jour, nous buvons à la première source, celle de l’oraison du matin et de la lectio-mariale. Le pain de la Vie nous nourrit chaque jour…
Dernier soir, dernière nuit. Le bivouac s’approche. On installe les duvets, les lampes de poche surgissent, les étoiles filantes tombent dans le ciel, les jeunes se poursuivent dans les talus, on ouvre les sacs de bonbons… Nous laissons les enfants pour des rêves sans adultes.

Aux Pradiers, je me sens enraciné. Là où se révèlent une pureté, une authenticité, une vérité, une maternité. Pendant la retraite d’été, Simone Weil, la philosophe, m’apparaît souvent… une lumière, une sainteté… Dans ce monde assoiffé, sans eau, il faut dégager les racines, les suivre aussi loin que possible, devenir « Vierge Missionnaire ».
Albert Camus qui avait publié « L’Enracinement » considérait cette œuvre majeure comme
“ l’un des livres les plus lucides, les plus élevés, les plus beaux qu’on ait écrits depuis fort longtemps sur notre civilisation. […] Ce livre austère, d’une audace parfois terrible, impitoyable et en même temps admirablement mesuré, d’un christianisme authentique et très pur, est une leçon souvent amère, mais d’une rare élévation de pensée ”.

Oh Cœur Immaculé de Marie !

Philippe Dalle